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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Vol de nuit


« Vol de nuit » est un court roman d'Antoine de Saint-Exupéryretraçant l'histoire d'un pilote d'avion de courrier nommé Fabien, devant traverser la Patagonie pour rejoindre Buenos Aires par un vol d'avion nocturne tempétueux. À travers cette histoire, Saint-Exupérynous montre les conséquences des tribulations du pilote sur son entourage et sur le responsable du réseau, Rivière, devant assumer les responsabilités de la mésaventure. J'ai plus ou moins aimé cette oeuvre, car, malgré un style soigné, le récit demeure timide et peu développé dans ses personnages et sa couverture de la vie des proches de Fabien. de ce fait, les intentions de l'auteur quant à son oeuvre demeurent vagues et nuisent à la lecture.

La principale qualité du roman est son utilisation de la langue. Par des phrases simples et concises, mais riches en caractère, Saint-Exupéry nous conte une histoire inspirée de son expérience en tant qu'aviateur en Amérique du Sud. Ainsi, la plume de l'auteur mélange un réalisme tiré de sa propre vie avec le prosaïsme qu'on lui connait pour « Le Petit Prince ». La présence de ce dernier ouvrage dans « Vol de nuit » se fait d'ailleurs sentir à de nombreux endroits, que ce soit pour la candeur des descriptions du paysage patagonien au début du livre, pour l'ingénuité enfantine avec laquelle nous est rapportée la relation entre Fabien et sa femme, ou encore pour le preux idéalisme qui émane du personnage de Fabien. du point de vue du vocabulaire en lui-même, le tout reste très simple, sans toutefois aller aux extrémités du Petit Prince, comme le démontre cet extrait : « Elle regardait ces bras solides qui, dans une heure, porteraient le sort du courrier d'Europe, responsables de quelque chose de grand, comme du sort d'une ville. Et elle fut troublée. Cet homme, au milieu de ces millions d'hommes, était préparé seul pour cet étrange sacrifice. » Ici, le vocabulaire évoque plutôt celui qu'aurait employé Alphonse Daudet s'il avait écrit ses « Lettres de mon moulin » au vingtième siècle, autant pour le minimalisme de son éventail que pour son utilisation justement limitée de figures de style, allant droit au but tout en gardant une part de poésie bien dosée. Par ces phrases simples et courtes, l'auteur transmet à merveille ce sentiment qu'une terreur imperceptible menace Fabien, comme s'il était prédestiné à un sort funeste.

Les personnages de ce roman sont intéressants, bien que je reproche à l'auteur de ne pas les avoir assez développés. Lorsqu'il est question de la solitude de Fabien, ou encore du poids des responsabilités qui sont sur les épaules de Rivière, on ressent une maturité qui montre que l'auteur les a lui-même vécus et qu'il base donc ses personnages sur lui-même. Néanmoins, puisque l'on ne connait que très peu les personnages qui vivent ces émotions en raison de la brièveté du roman, l'on ressent que leur état d'esprit n'est pas exploré à leur plein potentiel, comme si Saint-Exupéryn'avait pas osé aller jusqu'au bout de sa propre pensée. Ce problème est bien illustré au chapitre huit, alors que Rivière est accosté par un secrétaire voulant lui faire signer des papiers ; « Rivière se découvrait une grande amitié pour cet homme, que chargeait aussi le poids de la nuit. “Un camarade de combat, pensait Rivière. Il ne saura sans doute jamais combien cette veille nous unit.” » Cette affection soudaine n'est pas développée davantage dans le roman et ne nous donne qu'une vague idée de ce que ressent Rivière à ce moment. Les motivations des personnages et leurs réactions sont donc souvent trop difficiles à comprendre pour développer un réel attachement avec eux.

C'est aussi pour cette raison que les intentions de l'auteur sont souvent trop floues, ce qui atténue l'effet de l'atmosphère et l'impact des personnages. Malgré ce défaut important, l'un des buts principaux de Saint-Exupéry pour ce roman était d'explorer l'impact des dangers de l'aviation sur l'entourage des pilotes et ce dernier point est réussi et bien détaillé, particulièrement grâce au personnage de l'épouse de Fabien. Au chapitre dix, par exemple, on la suit alors que Fabien s'apprête à faire un nouveau vol ; « […] il semblait à cette femme que l'on allait crier “Aux armes !” et qu'un seul homme, le sien, se dresserait. » On vit à travers ce passage, le sentiment d'incapacité qui la domine, ce qui nous fait comprendre l'ampleur du poids que doivent porter les proches des aviateurs mettant leur vie en danger pour le courrier, ce qui est précisément ce que devait vouloir faire ressentir l'auteur en écrivant ce passage.

Bref, ce roman est une lecture agréable grâce à son style soigné, son atmosphère envoutante et ses descriptions de paysages exotiques qui auraient fait rougir Jules Verne tant leur réalisme est prenant. Ainsi, malgré sa concision excessive, « Vol de nuit » a un charme certain qui m'oblige à le conseiller vivement.

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