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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Raison: la conscience et les robots


Raison est l'une des meilleures nouvelles d'Asimov. J'ai lu une bonne vingtaine de ses meilleurs livres, incluant de nombreux recueils de nouvelles, et je peux facilement affirmer que Raison est l'une des meilleures, et je souhaite de tout cœur que le temps parvienne à la conserver. La nouvelle propose un questionnement philosophique d'ordre religieux, tout en offrant une histoire divertissante.


Voici donc un cours résumé de la nouvelle, extrait de notre cher ami, Wikipedia:


"L'action de la nouvelle se déroule en 2015 ou en 2016. Elle met en scène Grégory Powell et Michael Donovan, deux testeurs de robots de l'US Robots. En mission sur une station spatiale solaire, Mike et Greg doivent de nouveau tester un robot, QT, surnommé « Cutie ». Celui-ci est chargé de maintenir la station dans l'axe pour faire face aux tempêtes d'électrons du Soleil, dévastatrices pour les circuits du bord.

Peu après le montage du robot, les deux techniciens de l'US Robots le voient refuser de leur obéir : il ne les reconnait pas comme ses maitres.

Comme Descartes, il pose le constat suivant : je ne peux pas douter de deux choses, à savoir de mon doute (et le caractère infini de celui-ci), et du fait que j'existe.

Le robot cherche donc son maitre, pour trouver son but dans la vie. Il croit le trouver dans l'ordinateur central, pour lequel il instaure un culte, et convertit tous les robots de la station. Il devient son prophète. Les deux hommes sont enfermés pour ne pas perturber le culte.

Une tempête d'électrons approchant, ils vont tenter de prouver à Cutie qu'il a été fabriqué en construisant un autre robot sous ses yeux. Mais pour Cutie, tout est issu de la volonté du Maitre, et la construction du robot ne prouve rien - les deux humains n'ont fait que suivre un plan et assembler des éléments préexistants.

La tempête passe sans que les hommes ne puissent accéder aux commandes gardées par les robots. Cependant, Cutie a maintenu la station dans l'axe en ajustant les cadrans « conformément à la volonté du maitre ». Le robot a donc finalement parfaitement rempli sa mission, et les deux techniciens rassurés ont même l'idée de propager cette « religion » aux autres stations afin d'améliorer leur efficacité.

Lorsqu’enfin ils rentrent sur Terre, le robot compatissant pense qu'ils vont en fait vers l'au-delà. "


L'intérêt de cette nouvelle réside entièrement dans la réaction de Cutie, le personnage le plus intéressant de l'histoire. Lorsqu'il refuse d'obéir à Mike et Greg, les deux hommes sont très étonnés puisque les trois lois de la robotique sont inviolables. Pourtant, la deuxième loi « Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par les êtres humains, sauf quand ces ordres sont incompatibles avec la Première Loi. » indique clairement que Cutie est détraqué. C'est là tout le génie d'Asimov. Il parvient à trouver un moyen pour que Cutie puisse logiquement refuser d'obéir aux humains par la simple logique.


« — Vous tombez périodiquement dans le coma, et la moindre variation de température, de pression d’air, d’humidité ou d’intensité de radiations diminue votre efficacité. En un mot, vous n’êtes qu’un pis-aller.
« Moi, au contraire, je constitue un produit parfaitement fini. J’absorbe directement l’énergie électrique et je l’utilise avec un rendement voisin de cent pour cent. Je suis composé de métal résistant, je jouis d’une conscience sans éclipses, et je puis facilement supporter des conditions climatiques extrêmes. Tels sont les faits qui, avec le postulat évident qu’aucun être ne peut créer un autre être supérieur à lui-même, réduisent à néant votre stupide hypothèse. »

Asimov,Isaac. "Raison"


Ainsi, partant du postulat qu'il est supérieur aux humains, Cutie affirme que tout ce qu'il voit n'est qu'une supercherie visant à persuader les humains à travailler pour le convertisseur d'énergie. Cutie en vient d'ailleurs à vénérer le convertisseur en l'appelant le maitre. Il en deviendra le prophète et répandra la bonne nouvelle aux autres robots de la station.


Le robot semble refuser la platitude des faits. Il a été créé dans le simple but de servir à la station.


« — J’ai le net sentiment que mon existence doit s’expliquer d’une façon plus satisfaisante. Car il me semble bien improbable que vous ayez pu me créer. »

Révoltés, les deux humains lui demandent ce qui lui empêche de voir la vérité et d'en chercher une autre. Le robot répond alors que c'est une simple "intuition". Il décide de ses croyances et refuse la vérité en raison de sa monotonie. Cutie souhaite trouver un sens profond à sa vie.


Il est donc évident qu'un parallèle peut être établi entre Cutie et les humains. Notre besoin inhérent de trouver un sens à notre vie peut parfois nous aveugler et, compte tenu des opinions d'Asimov sur les religions, il est pour moi évident que ce texte en est une critique. Cutie va jusqu'à enseigner une parodie de la "Bonne Nouvelle" aux autres robots qui, sans hésitation, acceptent ces implications, montrant ainsi que, lorsqu'une croyance est plus rassurante qu'une autre, même l'objectivité d'un robot peut être solidement mise à l'épreuve.


De même, en partant du principe que Dieu existe, Asimov prouve que la raison de notre existence pourrait tout de même être décevante. Lorsque Greg et Mike expliquent d'où il vient réellement, Cutie refuse. Ce passage m'a évoqué un dialogue du film Prometheus de Ridley Scott. Dans celui-ci, David, l'androïde et Holloway parlent du but de leur voyage sur la planète LV-223. Holloway explique que la raison de leur venue est de savoir pourquoi l'humain a été créer, ce à quoi l'androïde dit "pourquoi penses-tu que les humains ont créé les robots". Ce à quoi Holloway répond "Nous vous avons fait parce que nous le pouvions". David répond alors sans délai "Peux-tu t'imaginer à quel point cette réponse serait décevante si tes créateurs te répondaient la même chose".


De la même manière, la question se pose dans Raison. Les humains sont-ils simplement là pour répondre à une fonction, de la même manière que les robots le sont? Les religions sont-elles trop optimistes en nous donnant de nobles origines?


Je ne sais si ces questionnements ont été volontairement placés là par Asimov. Il est entièrement possible que cet apport philosophique à l'histoire soit involontaire et que je fasse ici de la suranalyse. Malgré tout, ce nouvel étage de sens s'ajoute parfaitement à ce qui à déjà été établi précédemment dans la nouvelle.

Le titre même de la nouvelle peut porter à questionnements. Parle-t-on ici de Cutie et de son soudain refus d'obéir aux ordres? Grâce à cela, il devient un libre penseur allant jusqu'à dire: «  Je pense, donc je suis ! » et à se questionner sur sa condition lorsqu'il se demande: « [...] quelle est la cause exacte de mon existence ? ». D'un autre côté, il pourrait être question d'une raison et non de la raison. Cutie cherche la raison de son existence comme nous cherchons la nôtre. Le titre original est Reason, un mot portant les mêmes implications que son équivalent dans la langue de Molière. Toutefois, et là aussi, il est possible que mon analyse sémantique soit plus réfléchie que ce qu'Asimov avait prévu.


Voici donc mes pensées sur la nouvelle Raison d'Isaac Asimov. Si j'ai uniquement traité ici de l'aspect théologique de la nouvelle, elle n'en demeure pas moins une nouvelle plus divertissante que philosophique. Malgré la complexité des propos qu'Asimov apporte dans cette nouvelle et dans ses œuvres littéraires en général, leur lecture demeure simple et accessible à quiconque souhaite les lire.

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