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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Arthur C. Clarke et le spirituel

~Cet article comprend des spoilers pour 2001 l'Odyssée de l'Espace, 2010 l'Odyssée deux et les Enfants d'Icare ainsi que certains éléments de scénario de la Cité et les Astres~



Arthur C. Clarke est l'un des auteurs de science-fiction les plus influents de tout le mouvement. Il fut l'un des auteurs qui établissent les bases de la science-fiction telle qu'on la connait aujourd'hui, avec des intentions plus cérébrales et philosophiques que ses prédécesseurs de la vague Pulp. Avec ses confrères de l'âge d'or, il mena la science-fiction dans une direction plus axée sur les sciences humaines, par ses romans de premier contact. Cet article se concentrera sur l'opinion de Clarke sur les religions, et son utilisation de concepts spirituels dans ses fictions, que l'on pourrait aussi qualifier d'étrange transhumanisme astral, entre un mysticisme de la raison stapledonien et du fantastique pur et dur.


Avant toute chose, il est important de clarifier les convictions de notre homme. Clarke a certes écrit de nombreuses œuvres de science-fiction arborant des airs de surnaturel, il n'empêche qu'il était un athée convaincu, et un sceptique tout ce qu'il y a de plus scientifique. Non seulement était-il athée, mais il avait aussi la religion en aversion, comme le démontre ses dires dans une interview avec le Popular Science magazine le 1er aout 2004:

“Religion is the most malevolent of all mind viruses. We should get rid of it as quick as we can.”

Pourtant, Clarke s'intéresse tout de même à la spiritualité, sous une forme plus primitive que celle que lui ont donnée les religions. En effets, Clarke semble passer le rasoir d'Ockham sur toutes ses inventions sciencefictionelle moindrement spirituelles. Loin de toutes religions organisées et de croyances théologiquement complexes, il se concentre sur une forme de spiritualité minimaliste, afin de n'être jamais trop loin de la réalité telle qu'on la perçoit. Pour expliquer cette nuance, George Barlow a pertinemment écrit ces mots:

« Ainsi, la position de Clarke sur la religion, éloignée de tout dogmatisme négatif aussi bien qu’affirmatif [...] est animée du même esprit que sa conception de la science et de la science-fiction telle qu’elle s’est déjà esquissé -ne laisser libre essor à l’imagination que si elle prend d’abord appui sur des connaissances solides. »

Le livre d'or de la science-fiction, Arthur C. Clarke, George W. Barlow


C'est donc avec un certain plaisir qu'il rabaisse la religion dans ses romans, tel que dans les Enfants d'Icare, où les religions semblent disparaitre "naturellement" lorsque les suzerains arrivent sur Terre. En effet, s'ils ne se prononcent jamais sur les questions religieuses, les suzerains donnent leur avis par leur mutisme à l'égard de la question. C'est donc de cette manière que se terminent les religions.


Science can destroy religion by ignoring it as well as by disproving its tenets. No one ever demonstrated, so far as I am aware, the nonexistence of Zeus or Thor, but they have few followers now.

Childhood's End, Arthur C. Clarke


Dans la Cité et les Astres, Arthur C. Clarke exhibe un pessimisme tout aussi véhément à l'égard des religions lorsqu'il prévoit que des « religions sans nombre dont chacune prétendait avec une incroyable arrogance qu’elle était seule dépositaire de la vérité  » seront éventuellement éliminées par le pouvoir magique de la science et de la raison.


Dans 2001 l'odyssée de l'espace, la religion n'est jamais abordée, mais des idées spirituelles sont tout de même développées à travers la grandiose finale, lorsque l'on a affaire à l'enfant des étoiles (Star Child). Celui-ci semble être la représentation de la prochaine étape de l'humanité. Doté de pouvoir dépassant la compréhension humaine, tout comme le faisaient déjà le monolithe et ses mystérieux créateurs. Cette étrange transformation représenterait-elle la déification de l'homme? Et ceux à l'origine du monolithe ne seraient-ils pas eux même des dieux? Cette réflexion irait à l'encontre de la pensée d'Arthur C. Clarke lui-même. En effet, l'une de ses citations les plus populaires stipule que "N'importe quelle technologie suffisamment avancée est indistinguable de la magie". Ne serait-il donc pas inexact d'affirmer que les évènements décrits dans 2001 ont une quelconque signification nouménale ou transcendant le monde physique?


À priori c'est le cas, mais la fin des Enfants d'Icare va à l'encontre de cette pensée. En effet, il apparait évident que lorsqu’il est question de cette étrange singularité mystique qui frappe tous les enfants humains, on ne parle pas seulement d'une manifestation physique, mais bien d'un phénomène surnaturel. En effet, le "pilier de feux" et la disparition soudaine de ces posthumains vers une existence fusionnée avec l'Overmind semblent clairement indiquer une condition supérieure, au-delà de toutes technologie ou état physique. Ainsi, l'humanité fusionnant avec cette entité supérieure serait discrètement un moyen de remplacer Dieu ainsi que le Ciel. En effet, cet état transcendant l'univers matériel serait symbolique d'un paradis ou la fin de l'humanité se signerait par le début d'une conscience totale, régnant au-dessus de tout pour l'éternité.

Le même constat peut-être fait dans 2010 l'odyssée deux, lorsque l'on rencontre le fantôme de David Bowman. Néanmoins, certains pourraient affirmer que cela n'est pas forcément représentatif des croyances de Clarke, ce à quoi je répondrais qu'il a tout de même dû accepter de présenter une telle idée dans un roman de hard science-fiction incluant des idées scientifiques sérieuses que Clarke n'a probablement pas voulu décrédibilisé avec d'autres idées plus farfelues. Loin de moi l'idée d'affirmer que Clarke croyait dans les fantômes, j'estime simplement que cette idée n'aurait pas été présentée dans le roman si Clarke était un fervent matérialiste.


Même en supposant le contraire, le même raisonnement peut s'appliquer aux Enfants d'Icare, et cette fois-ci avec un peu plus de succès. En effet, la finale est un élément important du récit, qui s'inscrit dans la narrative symbolique, constituant sans doute l'élément principal - ou du moins l'un des plus importants- du roman. En effet, je ne crois pas que cette fin mystique ne puisse être qu'une fiction inventée par l'auteur de toutes pièces. Au contraire, c'est sans doute plutôt une spéculation sciencefictionelle fondée sur une intime conviction de l'existence du monde nouménal, tel que Kant l'avait envisagé.


Pour rester dans cette optique un peu plus philosophique, la dernière scène des Enfants d'Icare ainsi que la fin de 2001 est aussi intéressante de ce point de vue. En effet, on ne peut s'empêcher de penser au surhomme de Nietszsche. Voici donc une définition de l'Übermensch, établie par Richard Roos et fragmentée en trois caractéristiques distinctes:


1- Le Surhomme de Nietzsche est de nature égale au divin.
2- Il est au-dessus des hommes et plus au-dessus des hommes que ceux-ci ne le sont du singe.
3- Il ne doit pas se soucier des hommes, ni les gouverner : sa seule tâche est la transfiguration de l'existence


La première caractéristique ne peut être que subjectivement établie, puisque les informations sont manquantes autant dans un roman que dans l'autre. Toutefois, comme mentionné précédemment l'entité appelée Overmind (Maitre Esprit) semble symboliser une alternative à Dieu, inférant donc que la première caractéristique du Surhomme correspond aussi à l'étape prochaine de l'Homme d'après Clarke.


Le second attribut peut être confirmé grâce au contexte de 2001 l'Odyssée de l'Espace. En effet, l'histoire est une spéculation de ce que l'Homme a été et ce qu'il sera dans le futur. Si le passage du singe à l'homme nous est montré de la même manière que le moyen par lequel l'homme devient Enfant des étoiles, une emphase est mise sur l'écart de différence entre les deux dernières étapes de l'évolution de l'Homme, passant d'être physiquement restreint à une entité décrite comme étant maitresse du monde.


Finalement, la troisième propriété est clairement explicitée dans les deux romans. Dans les Enfants d'Icare, il est dit que les enfants ont quitté leurs parents et ne semble plus, ni se soucier de la faim, ni de leur famille. De plus, il est dit qu'il ne porte aucune attention aux Suzerains eux-mêmes. Dans 2001, l'Enfant des étoiles décide simplement de tuer l'humanité, pour ensuite partir vers de nouveau horizon, montrant ainsi tout l'intérêt que cette nouvelle étape de l'humain porte à la précédente. Quant à la transfiguration de l'existence, je crois qu'il n'est nul besoin de justifier en quoi l'Enfant des étoiles et le Maitre Esprit transcendent la nature humaine.


Je me dois enfin de mentionner que Jan, le dernier humain en vie et spectateur du départ des enfants est souvent désigné comme étant le dernier homme, faisant encore ici référence à la philosophie de Nietzsche. Le nom du Maitre Esprit, en anglais Overmind, n'est pas sans rappeler la traduction directe de l'Übermensch; Overman. Ces deux dernières références n'ont aucune réelle profondeur, mais sont tout de même de fortuites coïncidences qui n'en sont peut-être pas.


Voici donc le court portrait de mes observations concernant le rapport que portait Clarke au spirituel, du moins par le biais de ses écrits de fiction. Comme beaucoup d'écrivains de science-fiction, Clarke était fasciné par la religion, par la philosophie et par tout ce qui s'y rapprochait. Il fut d'ailleurs en quelque sorte l'instigateur de cette forme de SF, plutôt centrée sur l'humain que sur la science. S'il y eut des prédécesseurs en la matière, tel que Shelley et Stapledon, il fut néanmoins celui qui mit réellement cette pratique de l'avant, influençant au passage les générations d'auteurs qui le succédèrent, ainsi que celles à venir.


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