top of page
  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Dimanche sur la Lune


Le cirque se réveillait peu à peu alors que le Soleil naissait à l’horizon, accompagné de son éternel complice, la Terre. Dans le ciel d’un azur léger, les oiseaux flottaient au gré d’un vent chaud qui faisait rouler les feuilles mortes sur les collines de sable gris.


Ma maison avait été érigée au côté d’un roc massif que le souffle lunaire avait enseveli de poussière. De la pierre, il ne restait rien. Rien d’autre qu’une vague forme évoquant son règne passé. Le roc avait un jour été un endroit de réjouissance où les habitants du cirque de Thales se réunissaient, une ou deux fois par année. Les enfants gravissaient ses hautes parois et jouaient au roi de la montagne, tandis que l’on préparait un diner sous son ombre. Le soleil écrasant du zénith nous cherchait de ses rayons et atteignaient plutôt la chair de la chair, qui ne s’en souciaient guère avant l’arrivée des étoiles.


Les rires lointains et les devises chuchotées résonnaient encore dans les profondeurs de mon âme, comme un rêve flou et surexposé dans lequel même la noirceur devenait limpide. Comme l’eau des rivières, j’avais poncé ce souvenir jusqu’à en obtenir une sphère parfaite, scintillante et lisse comme nul autre. De la rude pierre que j’avais adoucie, il ne restait plus qu’une vague impression de mélancolie mêlée d’un soupçon de joie. Néanmoins, cette époque était révolue et il me fallait braver la réalité.


Dans les arbres, la petite mort commençait à poigner les feuilles écarlates sans toutefois les atteindre de plein fouet comme sur Terre. Les arbres racornis par une atmosphère lunaire encore aride ne subissaient pas les saisons comme autrefois. On était peut-être parvenus à émuler les saisons, mais celles-ci n’étaient rien si l’on n’avait pas la confiance complète des arbres. Les quelques feuilles mortes qui jonchaient la route du village ne suffisaient donc pas.


Contemplant la nature ingrate de l’astre de la nuit, je marchais sur le macadam de fortune qui m’amenait lentement vers le village. Nous étions encore loin d’une route romaine, mais les quelques roches qui faisaient office de chemin me suffisaient. Après tout, j’étais le seul à l’emprunter depuis longtemps. Les quelques voisins éloignés que je possédais vivaient en ermite pour certains et en autarcie pour les autres. Dans tous les cas, les sélénites qui habitaient Thales n’avaient pas emménagé ici pour faire la fête. Du moins plus maintenant…


Lorsque la première vague d’immigrants s’était installée sur ces terres, ils avaient été des millions, mais, maintenant, plus personne ne voulait habiter les contrées désolées de la Lune.


La deuxième vague de colonisation s’était faite en sens inverse ; un exode vers la Terre. Les habitants de Thales avaient peu à peu quitté le satellite pour retourner sur la planète bleue qui peuplait si bien la voute céleste lors des nuits où la solitude nous retrouvait. De loin, ses mauvais côtés se diluaient et laissaient place aux heureux souvenirs. À sa vue, on se rappelait que l’on n’était pas seuls. On se rappelait les beaux jours de l’humanité. Les jours où le progrès ne semblait pas avoir de limite et où le vacarme de la guerre n’était plus qu’un murmure lointain. Un murmure que seules les oreilles attentives pouvaient encore entendre.


Si la Terre était un bon compagnon à 384 400 kilomètres de distance, elle ne l’était pas lorsque l’on s’y trouvait, quoi que nos souvenirs tentent de suggérer. Le vide qui me séparait de ma planète natale était un agrément que je ne voulais perdre contre rien au monde. Toutefois, les gens du village ne semblaient pas être du même avis.


Lors de la deuxième vague, le village de Thales s’était dépouillé de ses habitants, laissant au passage de sombres maisons duquel émanait l’âpre odeur de l’abandon. Les lumières illuminaient encore la place d’un éclair froid dont personne ne profitait. Les extracteurs d’eau ronronnaient encore, sans jamais être utilisés. Les robots dépoussiéraient encore les maisons, attendant le retour de leurs maitres. Mais toute cette activité était inutile, car personne ne reviendrait.

Le village n’était plus que vanité.


Les maisons, plus à l’écart du centre, toutefois, restaient encore habitées d’âmes recluses et de carcasses immobiles. Ses gens n’étaient plus ce qu’ils avaient été. Après l’exil, ils s’étaient déformés en ombre glaciale, inatteignable et disjointe tandis que leurs maisons furent transmutées progressivement en tours d’ivoire qu’il m’était impossible de toucher.


Ces bâtiments austères restaient de marbre face à mes supplications. Malgré l’adversité qu’amenait le silence, leurs ombres, droite et solide éclipsaient le sol au même endroit, chaque jour, sans jamais se lasser.


Dans mon errance, il m’arrivait parfois de croiser un robot allant puiser une ressource quelconque, préparant un souper pour une famille nombreuse, cherchant un remède contre le rhume saisonnier, évacuant la poussière sur le terrain.


Les robots n’étaient pas bavards. Dépourvues de conscience, leurs discussions étaient inintéressantes et vides de sens. Ils faisaient partie du décor et je ne pouvais les en extirper.

Ainsi, j’étais seul dans tout le cirque. Les hautes parois de pierre me gardaient prisonnier dans la plaine désolée, reflet d’un jour que personne ne semblait regretter. Personne d’autre que moi.


Le vent sifflait et faisait danser la poussière dans une valse lente alors que je poursuivais mon chemin sur la route menant au village. Les rafales surplombant la falaise tourbillonnaient avant de retomber dans le cirque qui accumulait la poussière. Je la voyais tomber depuis longtemps. Chaque grain m’éloignait de ce qui aurait dû être mon destin. Chaque grain m’ensevelissait sous le poids du chagrin. Alors que le sablier s’écoulait dans la plaine vétuste, je regardais le temps passer avec une torpeur mortelle. La lenteur de chaque chose était accrue par la léthargie profonde qui s’était emparée de mon âme. Le sable passait, filait entre mes doigts, effleurait mon visage et je savais que je ne pouvais l’en empêcher. Je le laissais donc filer, impuissant, comme ensevelit sous le poids de ce qui était inévitable.


Après ces réflexions, j’arrivai dans la ville. Il n’y avait qu’une seule rue sur laquelle un petit troupeau de maisons se tenait immobile, penché vers le sol, comme broutant les mottes éparses d’herbe. Si les robots avaient gardé les maisons propres, cela ne les avait pas empêchés de s’affaisser sous le poids du temps. N’étant pas habiletés à restaurer les maisons, les robots s’étaient résignés à laisser les maisons paitre en toute quiétude.


Marchant dans la rue, je regardais l’intérieur des maisons. Elles étaient toutes encore éclairées et une odeur de pain frais ou de soupe aux choux émanait de leur cuisine. Les robots affairés à apprêter le souper semblaient encore cuisiner les meilleurs plats. Leurs talents culinaires ne s’étaient pas envolés avec les maitres des lieux.


Attiré par ces odeurs, je décidai d’entrer dans l’une de ces maisons. Avec un peu de chance, le chef cuisinier me laisserait être son invité.


Je montai sur le balcon et fis grincer les planches de bois. Puis, avant même de cogner, le grincement de la porte se fit entendre. Je fus alors pris d’une stupeur qui me fit pousser un cri. La porte s’ouvrit et une petite tête blonde m’invita à prendre place au côté de toute sa famille.


Ils étaient revenus.

Comments


bottom of page