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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

L’énigme du miroir (Première version)

Dernière mise à jour : 15 janv. 2022

Voilà maintenant trois mois que je t’attends. Trois mois passés à fixer le miroir et mon reflet qui, lui aussi, attend son mari. Un an avant ton départ improbable, tu avais déjà la même idée fixe. Celle qui allait changer notre vie. Tu m’avais expliqué ta théorie abracadabrante après l’avoir élucubrée durant l’une de tes trop nombreuses nuits blanches passées à te retourner encore et encore dans notre lit. Après cet instant, toute ton énergie et tout ton temps, tu les passais à essayer de prouver l’impossible.


Tous les jours, je te voyais devant le miroir au bout du corridor à lancer un dé. Tu voulais obtenir un chiffre différent de celui qu’aurait ton reflet. Tu croyais que derrière chaques miroirs se cachait un monde exactement pareil au nôtre. Tu pensais aussi qu’il était possible de modifier notre réalité de sorte que sa copie deviendrait un univers alternatif. Autrement dit, grâce au pouvoir du hasard, tu voulais briser cette boucle qui liait indéfiniment notre monde à celui qui se trouvait de l’autre côté du miroir.


Cette idée qu’un « autre nous » nous observait derrière la glace, tout le monde l’avait déjà imaginé étant petit, mais, comme la rougeole, si on l’attrape à un âge trop avancé, celle-ci se manifeste plus intensément et amène des symptômes plus graves et parfois même mortels, mais heureusement, pour ceux qui s’en sortent, on ne peut pas l’attraper une deuxième fois. Toi, du haut de tes trente-quatre ans, tu l’attrapais enfin. Même si je te répétais que c’était impossible, tu restais persuadé du contraire, passant des heures à brasser un dé en compagnie de ton reflet qui semblait autant entêté que toi à percer le mystère.


Un jour, je t’avais demandé de m’expliquer ce que tu ferais si tu obtenais un nombre différent de celui qu’afficherait le dé du miroir. Tu m’avais alors expliqué ta démarche afin de traverser le mur de vitre qui te séparait de ton homonyme.


« C’est très simple », m’avais-tu dit, je n’aurai qu’à pointer le miroir avec autant de doigts que le nombre de points qu’affichera mon dé. C’est à ce moment que je traverserai le miroir et que mon reflet et moi ne serons plus exactement les mêmes. Lui aussi aura traversé le miroir et ce sera à toi de l’accueillir comme il se doit, m’avais-tu répondu candidement.


Naturellement, je ne m’attendais pas à recevoir la version alternative de mon mari chez moi de sitôt, mais j’avais préféré ne rien dire de ce que je pensais de tout cela, ne voulant pas te contrarier. Tu tenais vraiment à tes recherches rocambolesques, mais tes efforts étaient vains. Du moins, c’est ce que je croyais.


Au début, tu faisais tes expériences avec un simple dé à six faces. Tu compris rapidement que plus le nombre de côtés était important, plus tes chances augmentaient. Tu essayas donc avec un dé à dix, dix-huit, trente-quatre puis même cinquante faces et tu finis par opter pour ce dernier, satisfait de son efficience. Ce dé multipliait considérablement tes chances de réussite, si toutefois il y en avait, mais ce n’était peut-être pas assez pour parvenir à ton but. D’après moi, si ce que tu avais entrepris était possible, cela ferait longtemps que tu aurais réussi, mais, toi, tu n’étais pas de cet avis.


C’est pourquoi tu essayas alors avec plusieurs dés à la fois. Tu en prenais une dizaine, tu les brassais puis les jetait en face du miroir. Toi et ton reflet vous vérifiez alors si l’un des dés affichait un nombre différent de celui de sa réflexion. Ce rituel, vous le répétiez pendant des heures sans jamais vous lasser ni vous arrêter.


Tout ce cirque dura des mois et j’en fus épuisé bien plus rapidement que toi. Je t’avais souvent demandé d’arrêter tout ça, mais à chaque fois, tu me répondais que tu arriverais bientôt à l’aboutissement de ton projet et que ce n’était plus qu’une question de jours. Comme un dépendant aux jeux, tu ne pouvais t’empêcher de poursuivre tes expériences. Comme un toxicomane, tu ne pensais plus qu’à cela.


Après plusieurs mois, tu tentas d’installer un nouveau miroir face à celui du passage.


« Comme ça, mes chances de réussite et celles des autres réalités grandiront de manière exponentielle », m’avais-tu expliqué. À cette époque, je n’avais que faire de tous ces caprices qui devenaient de plus en plus nombreux et excessifs. Tout ce qui m’intéressait, c’était de te revoir. Tu n’étais pas réellement là et je ne voyais plus que le corps de mon mari dépourvu de sa personnalité lorsque je passais dans le corridor. Tu étais dépourvu de ton humanité.


Je t’avais demandé pour une ultime fois de revenir dans le monde réel, mais tu ne me comprenais pas. Découragée de ton entêtement, je partis habiter chez ma mère temporairement pour penser à tout cela avec plus de recul. Tu ne devais même pas t’être aperçu de mon absence, étant trop occupé à brasser des dés devant un miroir. La situation devenait complètement ridicule et j’étais la seule à en avoir conscience.


Je restai chez ma mère quelques jours à me reposer. Toute cette histoire m’avait fatiguée et je ne regrettais pas d’être partie pour prendre un peu de répit. Ressourcée, je retournai donc chez nous afin d’essayer de te raisonner une bonne fois pour toutes.


Lorsque je rentrai et que je vis que tu n’étais pas devant le miroir, une vague d’espoir venue me frapper. Peut-être avais-tu renoncé à ton expérience et réalisé à quel point tu étais allé trop loin? Je te cherchais partout dans la maison, mais tu n’y étais pas. Ta voiture se trouvait bien dans la cour. Mais où étais-tu? C’est alors que je compris ce qui s’était passé. Ça me semblait irréel, mais je ne trouvais pas d’autres explications. Tu avais réussi! Tu t’étais rendu de l’autre côté du miroir!


J’accourus devant le portail vers un monde nouveau qui se trouvait dans le passage et dont tu venais de percer le mystère. Je regardai les dés et constatai avec joie qu’effectivement, l’un d’entre eux affichait des chiffres différents de ceux qu’avait son reflet.


Maintenant, des milliers de nouvelles possibilités s’offraient à nous. Plus la différence entre les deux réalités était grande, plus il serait facile de voyager entre elles. Pour l’instant, la différence était infime, mais elle existait et à partir d’elle, il allait être possible d’en faire d’autres. Peu à peu, ces deux endroits allaient devenir distincts. C’est le phénomène des jumeaux. Les deux frères identiques vont essayer de développer des gouts et des passions divergentes afin de se différencier et ce, ils le font consciemment ou non. Mais pour cela, les jumeaux doivent savoir qu’ils sont identiques.


Maintenant que tu as percé le mystère, les deux mondes vont mutuellement prendre conscience de leurs existences et de leur parfaite homogénéité.


Un seul problème s’oppose à mon hypothèse. L’autre toi devrait se trouver avec moi, mais ce n’est pas le cas. Vous pourriez donc tous deux vous trouver de l’autre côté, mais dans ce cas de figure, mon reflet ne serait pas avec moi pour attendre son mari tout comme je le fais. Nos réactions restent homologues ce qui veut dire qu’elle n’en sait pas plus que moi.


Mais où te trouve-tu maintenant? Que s’est-il passé lorsque tes doigts ont traversé le miroir? As-tu été projeté dans une autre dimension en compagnie de ton reflet? Cela relève du fantastique, mais qu’est-ce qui est réel maintenant? Je ne rêve pas, les dés n’affichent pas le même nombre, l’univers parallèle qui se trouve devant mes yeux n’est plus exactement le même. Devrais-je moi aussi tenter de traverser le miroir pour savoir ce qui t’est arrivé?


Voilà maintenant trois mois que moi et mon reflet attendons nos maris respectifs. Trois mois à fixer le miroir et à se poser toutes ces questions. Vous avez peut-être fait la découverte du siècle. Celle qui changera complètement l’avenir des quatorze milliards d’êtres humains qui peuplent nos deux mondes. Toutefois, vous, les deux hommes qui ont fait cette découverte, vous avez disparu et nous, vos épouses, nous n’avons aucunement l’intention de dévoiler le secret de cette découverte. Elle va donc mourir avec vous et personne n’en profitera.


Dieu à établi des limites dans sa création et nous sommes maintenant convaincues qu’elles ne doivent pas être dépassées. Peut-être qu’un jour, d’autres personnes résoudront à leurs tours l’énigme du miroir, mais elles aussi seront sévèrement punies et disparaitront de la surface de la Terre comme vous l’avez été.

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