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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Les messies de la Science-fiction

~ Cet article comprend des spoilers pour Dune, le Messie de Dune, la trilogie Matrix, Blade Runner 2049, ~


La science-fiction est un genre duquel a toujours émané la culture et la spiritualité de ces auteurs. Pour une raison que j'ignore, les auteurs de SF penchent inévitablement vers des réflexions philosophiques, et mettent du sien dans leurs œuvres. Par moment, ces réflexions se transforment en critique des religions, ou au contraire, les valorisent. Dans tous les cas, cet étrange phénomène a permis l'inclusion de nombreux sauveurs dans le panthéon science fictionnelle. Que ce soit une critique des figures messianiques, une aveugle appropriation du concept ou une utilisation consciente du modèle narratif du sauveur, toutes les raisons convergentes en un résultat; les messies ne manquent pas en SF.

 

Dune

Le premier cas de cette longue liste de personnages est Paul Atréide. Il est certain que des itérations christiques en SF antérieures à celle-ci existent, mais c'est Paul Atréide qui demeure le premier cas demeurant encore aujourd'hui dans la culture populaire. Paul Atréide est le personnage principal de Dune, le livre de science-fiction le plus vendu au monde. Paru en 1965, ce livre raconte l'histoire de l'arrivée du duc Leto Atréide et de sa famille sur la planète Arrakis. Dès son arrivée, Paul serra l'objet de beaucoup d'intérêt de la part du peuple indigène de la planète, les Fremens. Ceux-ci pensent qu'il est le Lisan al Gaib; le prophète venu d'une autre planète qui viendrait les sauver. Alors que l'histoire avance, la prophétie s'accomplit peu à peu et Paul finit par prendre le contrôle de la planète et marier la princesse de l'empereur.


Paul Atréide n'est peut-être pas né d'une immaculée conception, mais les ressemblances avec Jésus Christ sont frappantes. Premièrement, il est annoncé par de nombreuses prophéties, autant chez les Fremens que chez d'autres communautés. Ainsi, on lui attribue une multitude de noms parmi lesquels on retrouve: Paul Atréide, Lisan Al Gaib, Kwizatz Haderach, la Voix de l'Autre Monde, Mahdi, Usul, Muab'dib et plus encore, ce qui n'est pas sans rappeler la centaine de noms servant à désigner le Christ que l'on peut dénombrer dans la Bible.


Des parallèles plus directes méritent aussi d'être mentionnées. Par exemple, lorsque Paul arrive sur Arrakis, la planète désertique, sa mère (ayant de forte ressemblance avec Marie) lui dit que les Bene Guesserit ont préparés le chemin pour lui, ce qui évoque la prophétie dans Ésaïe 40 au verset trois:

Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu.

La ressemblance se poursuit lorsque l'on parle de Paul Atréide lui-même en disant qu'il est "the Way" ou le chemin, rappelant ainsi Jean 14:6 :

Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.

De plus, lorsque l'empereur Padishah apprend l'existence de Paul, il ordonne à son armée de s'attaquer à la maison des Atréides pour tuer la menace de Paul, se trouvant parmi eux. Ce passage du livre est évidemment évocateur de l'épisode biblique du roi Hérode, ordonnant de tuer tous les nouveau-nés juifs afin d'éradiquer la menace du sauveur, annoncé par les rois mages.


Finalement, un bon messie ne peut être sans avoir sa propre résurrection. Si elle est parfois psychologique, ici elle est belle et bien physique, poussant ainsi le parallèle christique à son paroxysme. Dans le désert, parmi les Frémens, Paul finit par boire l'Eau de vie, un poison si fort que seules les futures révérendes mères peuvent l'ingérer, tandis que tout autre humain entre dans un coma mortel. Trois semaines après le début de son coma, Paul finit par reprendre vie.


Néanmoins, Frank Herbert va au-delà de l'usage d'une figure messianique dans les livres succédant Dune. Dans "Le messie de dune", on découvre que la montée au pouvoir de Paul comme Empereur de l'univers connu n'est pas seulement une bonne chose. Les actes de Muad’dib sont exemplaires, mais la foule le suivant finit inévitablement par mal interprété ses intentions. En effet, Paul est hanté par la venue du Jihad, une croisade menée en son nom qui, dans le futur, causera la mort de milliards de personnes. Par ce retournement de situation sombre, Herbert fait une habile critique des croisades et de tous les actes de violence ayant été faits au nom de la chrétienté, montrant ainsi que même le message de Jésus (un message d'amour et de pacifisme) peut être mal interprété. De ce fait, il pose la question suivante; les messies et autres héros ne sont-ils pas intrinsèquement mauvais du fait de l'utilisation maladroite que l'on fait de leur message ?

 

Matrix


Le cas de Matrix est lui aussi très intéressant:


Comme pour la plupart des messies, tout commence par une prophétie. Dans le cas de Matrix, ce point n'est que très peu développé, mais il apparait clair qu'une prophétie circule à travers les rangs des humains hors de la matrice, annonçant la venue d'un élu libérant les humains de leur condition virtuelle.



Si Jésus se sacrifie à la croix afin de pardonner les péchés de l'humanité et de la sauver de la mort, Néo, lui, se sacrifie afin de sauver Morpheus d'une mort certaine, en retournant dans la matrice. On peut même retracer cette analogie en considérant que Jésus a quitté les cieux ainsi que sa condition immortelle pour aller sur terre, comme Néo quittant le monde réel pour aller dans la matrice. Cet évènement, comme dans la Bible, est prophétisé par l'Oracle. Si ce sacrifice finit par mener Néo à sa mort, il finit par retourner des morts, maintenant affublés d'un contrôle démiurgique sur la Matrix.


Morpheus quant à lui, peut être rapproché à Jean Baptiste, le cousin de Jésus, annonçant sa venue et croyant en lui. De la même manière, Morphéus croit que Néo est l'élu depuis le tout début. Néanmoins, il ne faut pas oublier que c'est ce même personnage qui sauve en quelque sorte Néo de sa condition d'être virtuel. De la même manière, on peut comparer Trinity à Marie de Magdalène, les membres du Nebuchadnezzar aux douze apôtres et Cypher, le traitre, à Judas.


En outre, le numéro de série du vaisseau de Morpheus est Mark III, numéro 11. Comme Ridley Scott le fera quelques décennies plus tard dans Prometheus, le numéro fait référence à un verset biblique que voici:

Les esprits impurs, quand ils le voyaient, se prosternaient devant lui, et s'écriaient: Tu es le Fils de Dieu.

Cette référence n'a pas de signification profonde, mais elle s'ajoute à la longue liste d'élément du film faisant référence au christianisme.


Dans le même ordre d'idée, on peut aussi noter une ligne de dialogue au début du premier film ou un client de Néo le compare explicitement à Jésus en disant:

Hallelujah, you're my savior man, my own personal Jesus Christ.

Si cette référence peu subtile n'a aucune signification d'un point de vue scénaristique, elle n'en demeure pas moins annonciatrice de la destiné de Néo se dévoilant peu à peu au cours des dizaines de minutes qui suivent cet instant.


Finalement, si les sceptiques ne sont pas encore convaincus, il suffit de voir la scène finale du troisième film, lorsque Néo meurt pour de bon.

 

Superman



L'utilisation du modèle messianique dans l'écriture du personnage de Superman, quant à lui, ne semble pas avoir été choisie afin d'utiliser ce personnage comme une critique de la religion ni de quoi que ce soit. En vérité, les rapprochements entre Jésus et Superman sont purement superficiels. On peut donc sans doute en conclure que le modèle de personnage christique est utilisé dans le cas de Superman simplement, car "on ne change pas une formule gagnante". Ainsi, voici une liste de quelques rapprochements entre l'histoire de Jésus et celle de Superman. Certains points ne sont pas valables dans toutes les adaptations:


1. Superman est le fils de Jor-El, apparaissant sous forme d'hologramme, comme une figure divine.

2. Il descend du ciel, pour venir sur Terre.

3. Il fait un séjour dans l'arctique, comme Jésus dans le désert.

4. Lorsqu’il est trouvé dans la capsule de sauvetage, son corps adopte une position cruciforme.

5. Ses yeux sont bleus, ce qui n'est pas sans rappeler l'apparence aryenne que l'on donnait à Jésus dans les films de l'époque de la parution du premier comic de Superman.

6. Le costume bleu de Superman représente ses origines divines. Dans la Bible, le bleu représente le ciel.

7. Kar-El, le nom original de Superman signifie "enfant des étoiles", rappelant ainsi l'étoile qui annonçait la venue de Jésus.

8. Superman possède un nom céleste (Kar-El) et un nom terrestre (Clark Kent), comme Jésus nommé Emmanuel par les anges, mais Jésus par les humains.

9. Le suffixe -man de Superman est fréquent dans les noms juifs. Son pseudonyme fait donc allusion à une potentielle origine juive.

10. La navette dans laquelle on trouve Superman peut rappeler l'étoile de Bethléem.

11. Dans Smallville, Superman a 30 ans, comme Jésus lorsqu'il commença son ministère.

12. Superman est considéré comme un sauveur, accomplissant des miracles.

13. Il communique avec son père mort, comme Jésus avec Moïse et Élie.

14. Superman est un sauveur désintéressé, cherchant le bien et non la gloire.

15. Superman est tenté par Luthor qui essaie de lui offrir des biens terrestres.

16. La Kryptonite symbolise la mortalité de Superman comme la croix pour Jésus.

17. À sa mort, la dépouille de Superman est amenée dans une tombe.

18. Superman vole, rappelant ainsi l'ascension de Jésus dans les cieux.

19. Superman semble parfait en raison de son origine extraterrestre.

20. Il vient d'ailleurs, ce qui crée un clivage important entre lui et les autres humains, voir même avec ses propres parents adoptifs.


 

Dystopies


Le terme général de dystopie est trop vaste pour le phénomène spécifique que je souhaite aborder ici. Il serait plutôt question de dystopies YA (pour jeunes adultes/adolescents). Ce sous-genre vaguement inspiré de la science-fiction s'est popularisé au début des années 2010 pour finalement décélérer vers la fin de cette même décennie. Le genre (ou la mode) visait les jeunes adolescentes et adolescents, et se démarquait du reste du marché par son utilisation à outrance de tropes tels que celle du gouvernement maléfique, du triangle amoureux, du combat à mort d'adolescents dans un contexte postapocalyptique ou encore de l'adolescent sauveur de la nation.


C'est ce dernier trope qui est digne d'intérêt dans le contexte de cet article. Les dystopies incluant ce trope sont nombreuses, mais aucune d'entre elles ne semble posséder un personnage principal doté de traits messianiques aussi prononcés que dans les exemples abordés précédemment. En effet, il est plutôt question de héros moderne, capable de partir des rébellions, de se battre à main nue, de prononcer des discours charismatiques, etc. S'il n'est que rarement question de superpouvoir chez les personnages principaux et les adjuvants, leurs capacités, qu'elles soient physiques ou intellectuelles, sont rarement représentatives de l'adolescent moyen. Les auteurs préfèrent plutôt créer une version volontairement idéaliste de leurs personnages, ce que semble aussi préférer leur audience d'adolescents. Ainsi, il apparait évident que le concept d'élu permet de verbaliser un fantasme courant à l'adolescence; celui de se croire unique, voire supérieur. Cette fatuité est donc extériorisée à travers des personnages principaux de dystopie, se rapprochant parfois beaucoup du modèle messianique.


 

Literally me movies et Bladerunner 2049


À l'antipode des dystopies YA, on retrouve les films dits literally me (littéralement moi). Ceux-ci s'adressent aussi aux adolescents et jeunes adultes, mais visent plutôt un public mâle. Le concept du genre cinématographique literally me est utilisé afin de désigner les films dans lesquels le personnage principal refuse les normes de la société et décide, par le biais d'action violente, de se rebeller. Le genre inclut aussi bien la science-fiction que le film historique, mais se caractérise par son atmosphère sombre et nihiliste ainsi que par le cynisme des personnages principaux. À l'opposé des dystopies YA, le personnage principal n'a souvent aucune importance. Il n'a pas d'habileté remarquable ou de talents particuliers, et ses imperfections sont parfois même mises en valeur.


Cela nous mène à Blade Runner 2049, l'un des films literally me par excellence. Le film relate l'histoire d'un réplicant chargé d'éliminer les autres, réplicants récalcitrants et enquêtant sur la naissance d'un être, né d'une mère réplicante. Au cours de son enquête, il découvre des indices le menant à croire qu'il est cet enfant né de l'accouchement miraculeux d'un réplicant. Ainsi, il serait peut-être l'élu venant prouver qu’humains et réplicants sont les mêmes. Néanmoins, alors que le film avance, on finit par découvrir qu'il n'est pas né de la première mère réplicante, mais qu'il est bel et bien un simple réplicant, sans importance. Au lieu d'être le personnage principal, c'est la conceptrice de souvenirs réplicants Ana Stelline qui s'avère être l'enfant miracle. Bien que le personnage ait été purement accessoire au film avant cette révélation, en étudiant un peu les intentions des scénaristes sous un angle symbolique, on peut comprendre ce choix.

Premièrement, il faut savoir que Ana Stelline est la seule réplicante de tout le film (et du Blade Runner de 1982) qui est capable de créer. L'unique exception à cette règle serait évidemment sa mère, Racheal, puisqu'elle fut capable de mettre au monde. Néanmoins, même cette exception n'est pas tout à fait juste lorsque l'on sait que Racheal mourut à la naissance de sa fille, prouvant ainsi que nul réplicant n'est capable de création.

De même, on peut aussi voir le partage de rêve comme un salut à échelle réplicante. Stelline crée des rêves afin de permettre aux réplicants de ressentir des émotions et de les humaniser, voir même, comme il est dit dans le film: "de devenir plus humain qu'un humain". D'une certaine manière, Stelline offre un moyen de les sauver en les rendant plus humains. De la même manière, Jésus offre le salut aux humains afin qu'ils puissent aller au ciel, grâce à leur âme.


Finalement, il faut savoir que comme Jésus, Ana est le fruit d'une naissance miraculeuse. À plusieurs reprises, cet individu que tous recherchent et qui est né d'une réplicante est désigné par le mot miracle.


D'un point de vue scénaristique aussi, ce choix fait sens. En effet, il est important que le personnage principal ne soit pas important, car, à l'opposé du genre dystopique pour jeunes adultes, l'insignifiance du personnage principal permet à l'audience de s'identifier à lui. Ainsi, les deux approches diamétralement opposées parviennent aux mêmes fins.


 

Je pourrais aussi parler de Terminator, la prélogie Star Wars, Robocop, Alien 3, le jour où la Terre s'arrêta, l'armée des douze singes ou encore E.T. l'extraterrestre. La science-fiction est riche en figures christiques et je n'ai fait qu'entamer ce long et complexe sujet. Je souhaite un jour revenir sur ce sujet dans un article, mais pour l'instant, je me contenterai de ce qui a déjà été dit. Quant à la conclusion, j'ai bien l'impression qu'il est encore trop tôt pour en faire une digne de ce nom. Il est pour moi évident que la figure christique n'est pas uniquement récurrente en SF simplement pour créer des personnages à partir d'un modèle préexistant. Quelque chose de plus profond se cache derrière cette utilisation de la figure christique en SF, mais je ne peux pas encore l'identifier clairement.


 

Source:


Dune:


Smith, Scott. “The Theology of Dune.” The Scott Smith Blog, 12 Feb. 2018, www.thescottsmithblog.com/2018/02/the-theology-of-dune.html. Accessed 20 Apr. 2022.


Thompson, Jonny. “The Messianic Movements That Inspired “Dune.”” Big Think, 1 Nov. 2021, bigthink.com/high-culture/dune-messianic-movements/. Accessed 20 Apr. 2022.

Matrix:


“Christ’s Parallels with Neo.” Is Neo a Christlike Figure?, 7 Mar. 2018, ohneoyoudidnt.wordpress.com/home/christs-parallels-with-neo/.

“The Theology of the Matrix.” The Scott Smith Blog, 16 June 2019, www.thescottsmithblog.com/2019/07/the-theology-of-matrix.html.


‌Superman:


Kozlovic, Anton Karl. “The Christ-Figure in Popular Films.” Kinema: A Journal for Film and Audiovisual Media, 2005, https://doi.org/10.15353/kinema.vi.1090.


Dystopies:


Trimmer, Lauryn. “5 Cliches in YA Dystopian Novels That Need to Stop.” Pro Story Builders, 17 May 2020, prostorybuilders.com/ya-dystopian/. Accessed 20 Apr. 2022.


Literally me movies et Blade Runner 2049:


Bergstrom, Aren. ““All the Best Memories Are Hers.”: The Christ Figure in Blade Runner 2049.” 3 Brothers Film, 24 Oct. 2017, 3brothersfilm.com/blog/2017/10/24/all-the-best-memories-are-hers-the-christ-figure-in-blade-runner-2049.



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