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Voici le remaniement d’une nouvelle que j’ai écrite il y a de cela plus de trois ans. Bien que le rêve qui y est décrit et dont j’ai véritablement fait l’expérience est antérieur à son écriture de quelques années encore, il n’en demeure pas moins que son étrangeté m’inspire encore de fortes émotions. C’est pourquoi j’ai voulu le revisiter ici, par l’entremise d’une réécriture de la nouvelle originale de 2021. La voici:
Il y a des expériences, en ce monde mortel, que nos sens même ne peuvent nous faire parvenir fidèlement.
En dépit du constant progrès de la science, l’inexplicable gagne du terrain, et ce rapproche dangereusement de notre quotidien. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’horreur véritable de notre condition humaine et de notre incapacité à ressentir ne soit dévoilée au grand jour. Exposée aux yeux horrifiés de tous, comme les miens l’ont été, quelques secondes à peine avant ma déchéance.
Ce funeste matin-là, en me réveillant, je constatai qu’une lettre avait été glissée sous ma porte d’appartement.
Depuis longtemps, je n’avais plus ni famille ni amis, et je vivais, par conséquent, reclus dans les quelques mètres carrés qui composaient ma demeure. Outre ma femme de ménage, il n’y avait personne pour m’envoyer une telle lettre.
C’est donc avec un tremblement appréhensif que je m’emparai de l’enveloppe sur laquelle on avait inscrit mon nom, sans toutefois révéler celui de l’expéditeur. Je l’ouvris et y trouvai une unique feuille dont la blancheur était seulement troublée par la présence d’un sobre dessin et d’une courte phrase:
« Je suis la perspective véritable. »
Le texte était suivi d’une icône représentant un œil sans iris, parcouru de veines jusqu’en son centre.
Décontenancé par la venue inexplicable de cette lettre , je passai ma journée à parcourir mon appartement d’un côté à l’autre, agité par des pensées toujours plus folles. Je retournai la phrase dans tous les sens, avec l’espoir d’y trouver un message caché. Sans résultat.
L’œil, quant à lui, était un symbole trop large pour dire quoi que ce fût. Cette lettre m’embourbait peu à peu dans les opaques ténèbres de la confusion, et ma raison ne trouvait aucune aspérité sur laquelle s’accrocher.
Lorsque vint la nuit, je conclus une trêve avec le mystère, et parvint tant bien que mal à trouver le sommeil.
Dans les profondeurs nocturnes de la confusion, Morphée me fit grâce et m’emporta dans un bazar du Moyen-Orient, bondé de ces créatures sans visage qui peuplent si souvent les rêves agités.
J’errai dans la foule, promenant des regards inquiets sur les marchands et leurs produits. Bibelots, breloques, bagatelles et autres frivolités occupaient en abondance le sol et les tables.
Mais, parmi ce désordre sans nom, se détachait une table antique et d’une facture grossière sur laquelle on avait eu l’extravagance de ne disposer qu’un seul objet, chose incroyable dans un endroit où l’espace manquait tant. Mes pas en alerte traversèrent le tumulte incessant qui me séparait de cet endroit et je constatai avec horreur que l’objet en question était un œil humain… sans iris.
Je tentai instinctivement de reculer, sans résultat. Tout en moi voulait fuir, mais je ne pus m’y résoudre. Il y a, en ce monde, des horreurs trop étranges pour que la curiosité ne puisse nous laisser détourner le regard. L’une d’entre elles était devant moi à cet instant.
La sombre pupille s’agrandit alors dans l’œil et en dépassa les confins, jusqu’à occuper l’entièreté de mon champ de vision. Les murmures se dissipèrent, et les étoiles apparurent, une à une, jusqu’à emplir l’œil, subitement transmuté en voute céleste.
Cette vision fut de courte durée, car ma vision s’élargit encore et encore, faisant disparaitre toutes les étoiles de la galaxie à l’horizon.
Puis, lorsque l’univers tout entier s’offrit à mes yeux, je pus contempler le vide éthérique de l’espace dans toute sa grandeur. C’était d’un vide vertigineux. Glacial et glaçant.
Une voix grave déchira alors le silence du vide pour déclarer : « Je suis la perspective véritable ».
En entendant ces paroles, mes sens s’éteignirent peu à peu et je m’engouffrai dans un sommeil nouveau.
Le lendemain, ma femme de ménage découvrit un corps inerte, étendu sur le tapis d’entrée, les mains pleines de sang, et les orbites mises à nu.
Jamais la police ne put découvrir ce qu’il était advenu de mes yeux.
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