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  • Photo du rédacteurLucas G. Blanchard

Rencontre dans l’éther

Dernière mise à jour : 11 févr. 2022


J’ai commencé l’écriture de mon premier livre en Août dernier, ce qui m’a fait oublier ce site web. J’en suis à la moitié dans son écriture et j’espère pouvoir le terminer d’ici juin 2021. En attendant, voici ma première nouvelle de science-fiction Cyberpunk. Je l’ai écrite durant les fêtes, entre deux chapitres de mon livre, mais j’espère que cela n’a pas affecté la qualité de ma nouvelle. Dans tous les cas, vous pourrez en juger par vous même:


 

Dans un petit bar sombre sur Callisto, dans le sillon d’Uruk, quelques clients tardifs étaient attablés aux fonds de la pièce, fêtant la fin des réparations du navire stellaire Senya Tyvok. Les jeunes hommes discutaient gaiment de tout et de rien, sans qu’aucune réelle conversation ne se démarque du lot de potins habituels.


Le barman, de son côté, était couché sur son comptoir crasseux sur lequel des cercles de divers liquides collants se reflétaient, grâce à la lumière verdâtre des néons fixés au plafond. À demi endormi, la joue engluée sur la surface poisseuse, on pouvait voir une vidéo jouer dans ses lunettes connectées.


Progressivement, ses yeux se fermaient jusqu’à se sceller complètement, désactivant au passage l’écran de ses lunettes. Lorsque le petit groupe au fond de son établissement riait, il se réveillait alors en sursaut, et répétait chacun de ces mouvements en boucle.


La petite entreprise du pauvre homme ne semblait pas fonctionner très bien vu son accoutrement modeste et la désuétude de ses lunettes. Des lentilles connectées à bas prix se trouvaient aisément dans n’importe quel dépanneur, qu’il soit physique ou virtuel.


De l’autre côté de la rue souterraine, un autre bar s’était établi depuis peu, et l’on pouvait entendre l’écho de la foule trinquant dès qu’elle en avait la moindre occasion. À les entendre, il devait y avoir trois à quatre fois plus de clients qu’ici, ce qui ne faisait qu’empirer l’aspect misérable des lieux.


À quelques banquettes du petit groupe, un vieil homme buvait tranquillement sa bière, sans dire mot. Il avait de petits yeux bleus clairs au fond d’un visage carré aux traits tirés. À l’extrémité de son nez bosselé, une moustache blanche ruisselante de bière cachait une petite bouche à la lèvre inférieure retroussée, tremblant légèrement au rythme du léger spasme que subissait constamment son œil gauche.


-Et puis, finalement, est-ce que quelqu’un a entendu parler du gars à l’origine de tous les dégâts ? demanda l’un des hommes du groupe.


- Pas à ce que je sais, dit Cyrus, le plus loquace des cinq. Il a simplement cassé la vitre de ses appartements, puis s’est subitement fait aspirer à l’extérieur du vaisseau. Aucun homme ne serait capable de résister au choc de l’air qui s’évacue d’une salle pressurisée aussi grosse.


-Et personne ne survit assez longtemps pour se faire repêcher non plus, poursuivit un autre.


-Ça, c’est ce que tu crois, dit Cyrus d’un air arrogant. J’ai entendu des histoires qui pourraient te prouver le contraire. Mieux encore, j’ai moi-même rencontré quelqu’un qui avait survécu à plus d’une minute dans l’éther spatial.


-Les charlatans se multiplient à ce que je vois. Il peut bien prétendre se qu’il veut, je ne croirai pas de telles idioties si je ne vois pas ce phénomène de mes propres yeux. Sans même se présenter, le vieil homme qui n’avait pas dit un mot depuis qu’il était entré dans le bar vint ajouter son grain de sel à la conversation ardente qu’avaient les jeunes ingénieurs.


-Détrompez-vous, ce ne sont pas des idioties. On peut très bien survivre une minute dans l’espace.


-Et qui êtes-vous pour affirmer cela ? demanda hardiment celui qui avait commencé la conversation.


-Samuel Fergusson, l’homme qui est tombé du Senya, c’est moi.

Une même émotion apparue alors en même temps sur les cinq visages, complètement déroutés. C’était stupéfiant… voire même impossible. Certes, Callisto était un petit satellite, mais une telle rencontre en de telles circonstances était absolument incroyable.


-Impossible! s’écria l’un d’eux.


-Et pourtant c’est bien moi. Si vous le voulez, je peux vous montrer mon billet pour le Senya Tyvok. Sans se faire prier, il sortit son billet et le tendit au petit groupe qui ne s’était pas encore remis de leur surprise. Cyrus prit les devants, et vérifia l’authenticité du papier.


-C’est le bon numéro de chambre! dit Cyrus, tentant vainement de dissimuler son étonnement.


-Si tu voulais une preuve, tu l’as devant toi, fit le prétendu survivant de l’accident du Senya Tyvok en s’adressant au sceptique du groupe.


-Elle n’est pas suffisante, lui répondit celui-ci, refusant encore d’y croire.


-Comme tu veux Thomas, dit moqueusement Fergusson, faisant référence à l’apôtre de Jésus qui n’avait pas voulu croire à sa résurrection. Je peux comprendre ton incrédulité, mais pour y remédier, il ne me reste plus qu’à te raconter mon histoire.


-Faites donc que l’on puisse rire un peu, dit le principal intéressé.


Samuel Fergusson prit quelques secondes de réflexion employées à trouver le bon moment par où il commencerait son histoire. Après celles-ci, le vieil homme s’assit à la table de ses nouveaux compagnons, prit une grande respiration trahissant son âge et sa consommation excessive de tabac, puis commença son récit.


« Comme vous le savez probablement déjà, l’incident a eu lieu le 27 décembre de l’année dernière. Je revenais d’un voyage d’affaires sur Titan et comme toutes les personnes ayant à faire l’aller-retour Titan-Callisto, j’empruntai une navette Senya. Ce trajet, je l’avais déjà emprunté à de nombreuses reprises, sans avoir de problème,


« Lorsque j’entrai pour la première fois dans mes appartements, j’eus tôt fait de constater qu’une fissure importante séparait l’unique vitre de toute la chambre. Lorsque l’on m’avait assigné ce logement, les détails concernant l’utilisation et les diverses particularités de chaque chose m’avaient été fournis dans une notice virtuelle personnalisée. Pourtant, les craquelures n’étaient mentionnées nulle part dans le livret. Pire encore, les images dans la notice sur lesquelles figurait la vitre de ma chambre ne montraient aucun indice d’usure, et encore moins de brèche aussi importante que celle qui se trouvait devant moi.


« Au début, j’eus l’idée d’en avertir le personnel à bord, afin de m’assurer qu’il n’y avait rien à craindre. J’étais tout de même en première classe, un tel imprévu ne s’était jamais manifesté dans mes voyages d’affaires précédents.


« Malheureusement pour moi, je parvins à me convaincre que tout était normal. Puisque je n’étais pas l’auteur de l’accident ayant causé cette fissure, c’était probablement le voyageur précédent qui était à son origine. Ainsi, ma chambre était probablement encore hermétique. En plus de cela, j’avais peur que l’on me charge la vitre et, compte tenu l’état de ma carte de crédit, il était clair qu’une telle dépense me serait fatale. Il n’y avait donc qu’une chose à faire ; tenter le coup.


« Dans le doute, lorsque j’entendis le léger vrombissement des moteurs, je partis dans une salle commune du vaisseau le temps du décollage. Après celui-ci et, voyant qu’aucune alarme ne s’était déclenchée, j’en conclus qu’il n’y avait aucun danger et que mes appartements étaient encore pressurisés adéquatement, ce que je pus confirmer quelques minutes plus tard.


« Les premières heures à bord se déroulèrent sans encombre et j’oubliai rapidement la fissure. Mon voyage sur Titan avait été bien éprouvant pour le vieillard que je suis. Je profitai donc du voyage pour me reposer.


« Sept heures après le début du voyage, alors que je dormais profondément sur la chaise du petit bureau se trouvant dans ma chambre, un son étrange parvint à mes oreilles et fut assez singulier pour me réveiller. Quelques secondes après avoir ouvert les yeux, le son se manifesta à nouveau, cette fois-ci bien plus distinctement, ce qui me permit d’en deviner son origine.


« Le lien fut rapidement fait. Le son était en fait le crépitement de la vitre se fissurant peu à peu. Sans plus attendre, je me retournai brusquement vers la vitre à l’origine du bruit. Ma chambre était calme et aucun son ne se manifestait, si ce n’est les bruits habituels produits par un tel vaisseau.


« La vitre, quant à elle, était encore plus brisée qu’auparavant, preuve que je n’hallucinais pas. C’était comme si la fissure avait poussé, créant de nouvelles ramifications et fortifiant les anciennes, maintenant plus grandes. Les sillons se complexifiaient sur la vitre labourée.


« Alors que je fixais encore les gerces avec effrois, celles-ci s’animèrent en un horrible crissement qui perça le silence éphémère qui s’était établi dans mes appartements. Mais, malheureusement pour moi, la vitre ne se contenta pas de percer le silence, elle perça aussi le mur qui me séparait de l’infini éther.


« Voyant la vitre se séparer subitement en milliers de morceaux, j’eus à peine le temps de pousser un cri que celui-ci fut étouffé par le vide abyssal qui pénétrait ma chambre. À partir de ce moment, le temps sembla s’arrêter, ou tout du moins, parut ralentir considérablement. Je voyais les éclats de vitres, comme des joyaux brillant au soleil et m’éblouissant. Le soleil se trouvait sous mes pieds, mais l’éther qui m’avait violemment projeté hors de ma cabine me faisait lentement tourné sur moi-même, se qui ramena le ciel à sa place, au-dessus de ma tête, pour ensuite retomber.


« Ce que j’avais tantôt appelé un silence s’était maintenant transformé en un vide sonore que je n’avais encore jamais éprouvé. Même dans le silence le plus complet dans un endroit pressurisé, il est possible d’entendre ta propre respiration ou même le battement de ton cœur, mais là où je me trouvais, il n’y avait plus rien de tout cela.


« À la fois le temps paraissait plus lent à s’écouler, à la fois ma pensée semblait s’accélérer. Je pris le temps d’observer Callisto qui se trouvait maintenant très près du vaisseau. Même si ce satellite n’est encore qu’au début de sa colonisation et qu’il ne produit pas beaucoup de pollution lumineuse, je pouvais voir l’étendue orangé brillant de mille feux. À première vue, je pensai que les morceaux de vitre se trouvaient dans mon champ de vision, mais je compris rapidement que les points lumineux étaient en fait des milliers de lacs de glacés, faisant réfléchir la lumière du soleil. Lorsque mes yeux firent le focus sur le satellite qui s’approchait dangereusement de moi, je parvins aussi à apercevoir les plus grands cratères, caractéristiques de la surface de Callisto, Lodurr, Bran, Ymir sans oublier le gigantesque Valhalla et ses multiples anneaux, donnant l’impression que chacun d’entre eux est plus profond que le précédent, et que son centre brillant atteint le noyau du satellite.


« Ce centre brillant alimente de nombreuses théories conspirationnistes et contes pour enfants évoquant le grand cratère comme s’il était en fait l’œil de la planète, observant ses habitants et guettant le moment opportun pour déclencher un quelconque phénomène naturel les exterminant tous. Je dois tout de même avouer que, d’où je me trouvais et vulnérable comme je l’étais, ces élucubrations étranges me paraissaient soudainement plus plausible.


« De toutes les lumières de Callisto, celle se trouvant au centre du cratère semblait encore plus éclatante que les autres. J’eus même l’impression qu’elle me fixait avec amusement, attendant ma mort qui d’ailleurs, n’allait surement pas tarder à arriver. Tout l’oxygène qui habitait mes poumons les avait quittés en même temps que l’air dans ma cabine, au profit de l’éther sans fin, endroit idéal pour des petits atomes d’oxygène marginaux.


« En plus de cette suffocation qui allait me tuer dans les plus brefs délais, je commençais à sentir le froid glacial de l’espace. Toutefois, ce refroidissement subit était encore étonnement supportable.


« Alors que mon corps effectuait une nouvelle révolution sur lui-même, j’aperçus, à l’opposé de là où je me dirigeais, un énorme corps à quelques mètres à peine. Sans m’en rendre compte, cet énorme objet ne faisant clairement pas partie du vaisseau c’était approché si près de moi qu’il m’était devenu impossible de voir le l’extrémité du vaisseau, obstrué par cette énorme masse insolite.


« C’était une sorte de mur d’un mauve brumeux et translucide, qui s’ondulait légèrement, rappelant le mouvement d’un animal ou d’un quelconque objet organique. Car, en réalité, ce qui se trouvait devant moi n’avait pas du tout l’apparence d’un animal tel que nous les connaissons.


« Malgré sa translucidité, la bête, si toutefois c’en était une était si massive, si épaisse que je ne pouvais rien voir au-delà de son corps. Des kilomètres de chairs translucides se trouvaient devant moi sans que je puisse voir l’autre extrémité du monstre.


« D’ailleurs, celui-ci n’avait aucun organe visible en son sein. Seules quelques rares bulles d’un gaz incolore flottaient çà et là dans la masse mauve. Pour le reste, je ne pouvais voir que cette étrange matière d’un bleu jacinthe qui m’obstruait complètement la vue de sorte que je ne puisse en apprécier les formes.


« Malgré cela, je pouvais tout de même admirer les légères striures qui sillonnaient le mystérieux corps. Ces zébrures désorganisées semblaient légèrement ressortirent de la bête, et, puisque celles-ci effectuaient un tonneau, le relief m’apparut clairement. En plus de cette distinction, les stries étaient légèrement plus foncées que le reste du corps.

« Avec une rapidité insoupçonnée, la bête vrilla, et un œil gigantesque vint apparu dans mon champ de vision restreint et jeta un regard sur ma minuscule et fragile personne.


« C’était un œil colossal, ridiculement démesuré si on le compare à n’importe quelle espèce terrestre. Un œil monstrueux, autant en raison de sa grandeur que par l’effet qu’il me fit. Celui-ci me fixait calmement, d’un regard vide et désintéressé, typique de tous les animaux non sentients. Cet œil, d’un blanc maculé de veines rougeâtres avait en son centre un iris couleur safran, plus précieux que n’importe quel rare phénomène, produit du règne minéral. Et encore plus au centre se trouvait la pupille, vertigineusement noire. Celle-ci était si près de moi que j’aurais pu en observer ses motifs, mais elle n’en possédait aucun. À elle seule, la circonférence de la pupille devait faire au moins deux fois ma grandeur.


« Une émotion étrange, entre affolement et curiosité, entre impuissance et apaisement, parcourut mon corps sous la forme d’un frissonnement confus. À la fois la peur de l’inconnu qui réside en chaque être humain me tenaillait, à la fois mon flegme habituel tentait de me résonner. Visiblement, le monstre, car c’en était bien un au final, n’avait aucune intention mauvaise ou destructrice, ni à mon égard ni à celui du Senya, puisque, si cela avait été le cas, elle se serait déjà exécutée.


« En effet, malgré son envergure monumentale, la bête se mouvait avec aisance et souplesse dans le vide spatial qui nous entourait et qui pénétrait douloureusement mes poumons. Après quelques secondes pendant lesquelles il me fixait, l’étrange animal se tourna un peu, et se rapprocha doucement vers moi comme s’il m’invitait à m’accrocher à l’une de ses stries.


« J’hésitai un peu, me demandant si la bête était digne de confiance, mais après une fraction de seconde employée à prendre une décision, je me rendis compte de l’absurdité de mon hésitation. Si elle ne me tuait pas, j’allais mourir d’asphyxie quelques secondes plus tard. Il n’y avait donc plus rien à craindre de quoi que ce soit.


« J’étendis donc ma main vers la baleine spatiale, puis m’accrochai à elle. Contrairement à ce que pouvait faire croire sa transparence, elle avait un corps dur, sec et froid. Au toucher, la bête était indiscernable d’une roche. Sentant ma main frêle, elle tressaillit et plongea sans attendre dans l’éther spatial, en direction de Callisto.


« Nous allions à une vitesse ahurissante, dépassant haut la main tous les moyens de transport inventés par l’Homme. En un instant, je vis Callisto grossir à l’horizon, tandis que de l’autre côté, le Senya Tyvok n’était plus qu’un point brillant au loin.


« C’est à ce moment que je compris ce qu’avait fait l’animal. Il m’avait sauvé. Tel l’éléphant voyant un humain se noyer dans la rivière, la baleine de l’espace m’avait sauvée du courant qui m’emportait vers une mort certaine, et m’avait rapporté sur le rivage. Contre toute attente, elle avait agi par pure bonté, souhaitant simplement m’aider.


« L’animal se rapprocha le plus possible de Callisto, sans se faire attirer par la gravité, puis, d’un mouvement rapide et habile, m’envoya vers le satellite. Ainsi projeté, je tombais en chute libre vers le sol dur de Callisto. Si je n’étais pas mort asphyxié dans l’espace, j’allais mourir de ma chute.


« Comme vous le savez, la gravité ici est huit fois inférieure à celle de la Terre, mais ce n’est certainement pas suffisant pour survivre à la chute que j’eus à subir. Pourtant ce fut le cas.


« En entrant dans le rayon d’attraction de Callisto, je m’évanouis rapidement dû au manque d’oxygène alarmant qu’avait dû encaisser mon corps frêle de vieil homme, usé par les années. En réalité, c’était déjà un miracle que d’avoir pu rester conscient aussi longtemps que je l’avais été. Avant de m’évanouir, je sentis mon corps s’arrêter, et je crus sincèrement que mon âme partait vers l’éternel repos. Pourtant, la chance ne me quitta pas de sitôt, et mon repos eut une fin.


« Lorsque je me réveillai, je me trouvais à l’hôpital d’Uruk. Mais mes jambes étaient intactes, je n’avais aucune côte de cassée ni même de pied foulé. Plus tard, l’infirmière m’expliqua que j’étais tombé tout près du sillon d’Uruk et que l’on était parti à ma recherche grâce à un jeune garçon qui m’avait vu tomber du ciel. En m’amenant à l’hôpital, les ambulanciers qui m’avaient retrouvé constatèrent avec étonnement que mon cœur battait encore et que ma respiration avait repris sans problème.


« Elle m’expliqua aussi que mes jambes avaient été endommagées, mais qu’elles n’avaient pas été irrécupérables. En plus de cette chance déjà inespérée, mes jambes avaient eu le temps de guérir entièrement avant mon réveil, ce qui m’évita toutes souffrances liées aux blessures de ma chute.


« Je repartis donc de l’hôpital, en pleine santé après une semaine de comas. La première chose que j’allai faire en sortant de l’établissement fut d’aller retrouver le garçon qui m’avait vu tomber. L’infirmière m’avait gentiment donné sa description, et, puisque la ville d’Uruk n’est pas très grande, je n’eus aucun problème à le retrouver.


« L’animal qui m’avait sauvé était si incroyable que je doutais de mes propres souvenirs. J’espérais donc ne pas être le seul témoin de la découverte d’une forme de vie extraterrestre. La bête m’avait paru si gigantesque qu’il ne faisait aucun doute que ce jeune homme l’ait aperçu dans le ciel.


« Pourtant, lorsque je retrouvai le petit garçon, celui-ci ne parla de la bête à aucun moment. J’essayai de faire venir le sujet dans la conversation, mais en vain. Inutile de lui demander la chose explicitement, s’il avait vu quoi que ce soit, il me l’aurait bien dit.


« Par la suite, je pensai aux passagers du Senya Tyvok, mais ceux-ci ne pouvaient avoir vu l’animal sans quoi l’on aurait parlé de lui dans tous les journaux du système solaire.


« Et me voilà, maintenant devant vous, à vous raconter ce récit absurde que je répète à qui veut l’entendre depuis plusieurs jours, sans que personne n’y croie.


Après avoir conté son histoire, Fergusson but une gorgée du verre neuf auquel il n’avait pas touché depuis le début de son histoire, tandis que le petit groupe qui l’avait suivi avec attention tentait de la digérer.


Même le barman fatigué était maintenant complètement réveillé grâce à l’histoire invraisemblable de son client. Celui-ci avait quitté son comptoir et s’était assis à la table avoisinant celle de Fergusson pendant son histoire.


L’auditoire était décontenancé par la vraisemblance qu’avait eue le récit dans la bouche du vieil homme convaincu de ce qu’il disait. Afin de rompre le silence, l’ingénieur incrédule à qui était destinée toute l’histoire commença:


-C’est vous qui avez inventé cette histoire de pêche grossière?


-Mais elle est vraie, mon cher ami.


-Un extraterrestre vivant à même l’espace, une chute de milliers de mètres sans aucune séquelle et, bien évidemment, aucun témoin de la scène, mis à part un gamin qui prétend t’avoir vu tomber du ciel. Nul besoin d’en dire plus, vous savez déjà quoi en penser.


-Croyez ce que vous voulez, je ne fais que vous dire ce que j’ai vu et vécu.


-Et l’infirmière ? demanda un jeune homme du groupe qui n’avait pas encore parlé de toute la soirée, elle ne vous a rien demandé ? Ce n’est pas tous les jours qu’on soigne un homme tombé du ciel.

À cela, Samuel Fergusson ne répondit rien, se contentant d’essuyer sa moustache pour ensuite l’enrouler sur ses doigts poisseux, tout en fixant le garçon de ses yeux bleus, assurés.


-C’était une sacrée bonne histoire dans tous les cas, dit Cyrus. Bien que mes amis n’aient pas l’air d’y croire, je pense bien qu’il y a une part de vérité dans tout ça. Pour ce qui est de votre baleine de l’espace, par contre, je n’y crois pas une seule seconde.

Durant le restant de la soirée, les jeunes ingénieurs revinrent à leurs potins, sans jamais aborder l’histoire de Fergusson, qui, lui, repartit dans les rues bondées d’Uruk, à la recherche d’un nouvel auditoire à qui raconter son épopée invraisemblable.

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